« La parole n’accompagne pas une pensée déjà faite,
mais l’accomplit »
Maurice Merleau Ponty
S’exprimer afin de se réaliser, voici le champ d’exploration que je vous propose pour cette session de Café Psycho ce mercredi 2 novembre 2016, à 19h30, au café le Falstaff à Bastille, Il approfondit celui du mois dernier.
Selon l’article Parole du dictionnaire des symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant : « La notion de parole fécondante, de verbe porteur de germe de la création et placé à l’aube de celle-ci, comme la première manifestation divine, avant que rien n’ait encore pris forme, se retrouve dans les conceptions cosmogoniques de beaucoup de peuples. »
D’autres citations et quelques exemples passionnants cités dans cet article sont présentés en fin de cette page, notamment « parole sèche et parole humide des Dogons ».
M’exprimer afin de me réaliser. Exprimer, du latin ex : « au dehors » et premere : « presser », est, selon le dictionnaire Le Petit Robert : « rendre sensible par un signe (un fait de conscience, et en général toute chose existante) en en dégageant le sens. Faire connaître par le langage. »
Me faire co-naître par le langage, mettre au monde en lien avec l’autre ma propre intelligence de mon monde intérieur par nos paroles fécondantes . C’est à dire révéler, déclarer, manifester un projet destiné à vivre à l’extérieur de moi, et pétri consciemment et inconsciemment de mon projet intérieur, de mon impulse, de ma trajectoire singulière à laquelle j’œuvre à consentir. Bergson écrit, dans les données immédiates de la conscience : « Nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l’expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu’on trouve parfois entre l’œuvre et l’artiste. »
Réaliser, selon le même dictionnaire, c’est « faire exister à titre de réalité concrète ce qui n’existait que dans l’esprit ; faire correspondre une chose, un objet à une possibilité, une idée, un mot. »
Ainsi, m’exprimer pour me réaliser me demande d’exercer une pression, de m’engager comme le naissant s’engage dans le col de l’utérus pour sortir, pour mettre (de) moi au dehors dans une forme réelle. Me dire authentiquement est un accouchement qui peut être long, sinueux, douloureux. Que ce soit pour un projet matériel ou pour être qui je suis (déjà). Cela m’invite souvent à accepter d’avancer pas à pas, éviter le trop et le trop peu, trouver une stratégie, des alliés, etc…
Et une fois que j’ai posé ma parole fécondante, l’acte de naissance de mon œuvre, il est préférable pour elle et pour moi, de continuer à exister au delà de ce projet et de tout projet, et de ne pas me fondre dedans. Comme pour la relation parent-enfant, ce dernier se développe mieux avec un accompagnement suffisamment bon qui accepte la différenciation. D’autre part, parent est une fonction, pas une identité. A débattre.
Mercredi, nous serons invités à poser nos paroles et être fécondés par celle des autres.
Extraits de l’article « Parole » du dictionnaire des symboles de J. Chevalier et A. Gheerbrant :
[…] « Les Dogons distinguent deux types de parole, qu’ils nomment parole sèche et parole humide. La parole sèche ou parole première, attribut de l’Esprit Premier Amma, avant qu’il ait entrepris la création, est la parole indifférenciée, sans conscience de soi. Elle existe en l’homme comme en toutes choses, mais l’homme ne la connaît pas : c’est la pensée divine, dans sa valeur potentielle, et, sur notre plan microcosmique, c’est l‘inconscient.
La parole humide a germé, comme le principe même de la vie, dans l’œuf cosmique. C’est la parole qui fut donnée aux hommes. C’est le son audible, considéré comme une des expressions de la semence mâle, à l’égal du sperme. Elle pénètre l’oreille, qui est un autre sexe de la femme et descend s’enrouler autour de la matrice pour féconder le germe et créer l’embryon. »
[…] « Le Pseudo-Denys l’Aréopagite a jeté les bases d’une synthèse, dans un passage extrêmement riche de son traité des Noms divins . La parole est le symbole le plus pur de la manifestation de l’être, de l’être qui se pense et qui s’exprime lui-même ou de l’être qui est connu et communique par un autre.«
[…] « L’association Parole-Principe vital immortel se rencontre chez les Indiens d’Amérique du Sud, notamment dans les croyances des Taulipang, pour lesquels l’homme est doté de cinq âmes, dont une seule gagne l’autre monde après la mort, celle qui contient la parole, et qui déserte périodiquement le corps pendant le sommeil .
Chez les Canaques de Nouvelle-Calédonie, selon l’expression de Maurice Leenhardt, la parole est un acte ; elle est l’acte initial, d’où la terrible puissance de la malédiction, considérée traditionnellement comme une arme absolue ; non pas par la force de celui qui maudit, car ! homme lui-même n’a aucune force intrinsèque, mais par cet acte qu’est la parole de Dieu ou du Totem invoqué, lequel coupe le flot de vie et anéantit l’homme maudit.
Dans la tradition biblique, l’Ancien testament connaissait le thème de la parole de Dieu et celui de la Sagesse, existant avant le monde, en Dieu ; par qui tout fût créé. De même pour Saint Jean, le Verbe (la Parole) était en Dieu, pré existant à la création. »
[…] « Dans la pensée grecque, la parole, le logos, a signifié, non seulement le mot, la phrase, le discours, mais aussi la raison et l’intelligence, l’idée et le sens profond d’un être, la pensée divine elle-même. Pour les stoïciens, la parole était la raison immanente en l’ordre du monde.
Quels que soient les croyances et les dogmes, la parole symbolise d’une façon générale la manifestation de l’intelligence dans le langage, dans la nature des êtres et dans la création continue de l’univers ; elle est la vérité et la lumière de l’être. Cette interprétation générale et symbolique n’exclut en rien une foi précise en la réalité du Verbe divin et du Verbe incarné. »
Extrait de « l’Analyse psycho-Organique. Les voies Corporelles d’une psychanalyse » (E. Champ, A.Fraisse, M. Tocquet, L’harmattan, 2015)
Anne Fraisse :
« L’Analyse psycho-Organique étudie comment d’un mot, en passant par une image
et une pré-image, le corps est touché. Elle analyse aussi le phénomène dans le
cheminement inverse : comment à partir de l’inconscient corporel peut se former
une image et se dire une parole ».
Paul Boyesen :
Dans cette approche, la pensée est vécue dans le corps et nous pouvons sentir les pensées, l’esprit et la chair ne faisant qu’un : « l’Analyse Psycho-Organique ne donne pas seulement de l’importance au sens de l’expérience et à la sensation de l’expérience,
mais aussi au verbe qui les lie ».